Editorial (Juillet 2005)

Publié le par Robert Six

Editorial
 
Qu’est-ce qui différencie "Homo sapiens" des autres espèces animales ?
 
L’Homme a longtemps cru qu’il existait une frontière nette et franche entre lui et les autres espèces animales. Cette vision est aujourd’hui, heureusement, complètement dénuée de fondement. Cependant, beaucoup d’individus croient encore que nous sommes la finalité du monde vivant et que l’Univers sans la conscience humaine n’a pas de signification, ni même d’existence. Je pense que nous devons nous faire à l’idée que la présence d’ Homo sapiens ne change en rien la réalité physique de ce monde dans lequel notre espèce apparaît durant un instant infiniment court par rapport aux 15 milliards d’années déjà écoulées. Sans l’Humanité, l’Univers ne se porterait pas plus mal !
Un des nombreux critères de différenciation entre nous et les autres a été la bipédie. Les découvertes paléontologiques et l’étude de divers moyens de locomotion chez les primates actuels ont prouvé que l’homme moderne n’est pas le seul primate capable de se déplacer dans la position verticale sur ses deux pieds [1]. Une autre idée préconçue était la flèche du progrès qui amenait inévitablement l’évolution à l’Homo sapiens. Les dernières trouvailles en matière de fossiles ont conforté l’idée d’évolution buissonnante, rendant la généalogie des Hominidés très complexe. Homo a côtoyé d’autres espèces dont la morphologie était très proche de la sienne : même stature plus ou moins adaptée à la position verticale, cerveau dont la capacité et la conformation se rapprochaient progressivement de celle que nous possédons actuellement [2]. La découverte récente de l’Homo floresiensis, petit hominidé trouvé dans l’île de Florès, en Indonésie, semble être l’une des plus importantes des dernières décennies. Elle signifie non seulement qu’une autre espèce humaine a coexisté avec nos ancêtres jusqu’à une période récente (13.000 ans), mais aussi que notre genre offre une diversité plus large que l’on ne pensait [3].
La fabrication de l’outil a également été un critère de sélection. Pourtant, de nombreux animaux utilisent des objets trouvés dans leur environnement qu’ils façonnent afin d’en faire une sorte d’outil. Ainsi, à part les exemples de technicité bien connus des chimpanzés, citons le corbeau calédonien qui utilise une palette d’outils la plus originale du règne animal : dans les feuilles dures du pandanus (arbre tropical), il découpe des sortes de « fourchettes à escargots » de différentes largeurs, ou taille des branchettes de sorte que leur extrémité se termine par un crochet [4].
Même dans le comportement, la culture ou l’attitude sociale, on peut déceler des analogies. Un nouveau champ de recherche – l’étude du comportement économique des animaux – a révélé que les comportements de base, telle la réciprocité, la coopération ou la répartition des récompenses, n’ont rien de spécifiquement humain [5]. L’observation récente des grands singes a montré que lorsqu’ils présentent certains symptômes pathologiques, ils sélectionnaient des plantes spécifiques aux propriétés pharmacologiques certifiées qu’ils ingurgitaient à titre d’automédication [6].
Enfin, la conscience peut-elle être le garant de tout ce que nous considérons comme humain, de ce qui nous est le plus précieux. Les dernières avancées en neurobiologie montrent que le processus de la conscience est une manifestation dynamique de l’activité de populations de neurones réparties dans de nombreuses aires différentes du cerveau. N’oublions pas que la conscience, comme tout ce qui appartient au vivant, est le résultat de l’évolution et que ses bases neuronales se sont installées progressivement, permettant de dire qu’elle s’est développée chez certains animaux. [7].
Nous pouvons affirmer que nous faisons partie de la grande chaîne de l’évolution et que notre situation au sommet de l’Arbre de la Vie est temporaire. Le temps suffit amplement pour qu’une lignée plus prometteuse se détache d’un autre rameau et que le nôtre dépérisse [8].
Robert Six


[1] Berillon F., Marchal F. – Les multiples bipédies des hominidés, in Pour la Science – N° 330, avril 2005.
[2] Wong K. – Les débuts de la lignée humaine, in Pour la Science – N° 307, mai 2003.
[3] Wong K. - Le plus petit humain, in Pour la Science – N° 329, mars 2005.
[4] Holzhaider J., Hunt G. – Rusé comme… un corbeau, in Pour la Science – N° 324, octobre 2004.
[5] de Waal F. – Le commerce chez les animaux, in Pour la Science – N° 331, mai 2005.
[6] Krief S. – La pharmacopée des chimpanzés, in Pour la Science – N°325, novembre 2004.
[7] Edelman G.M. – Plus vaste que le ciel – Une nouvelle théorie générale du cerveau, Odile Jacobs, Sciences, Paris, 2004.
[8] De Duve C. – A l’écoute du vivant, Odile Jacobs, Sciences, Paris, 2002.

Publié dans Editoriaux

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